Hydrogène au Maroc : Opportunité de développement et défi environnemental

Si l’hydrogène est largement utilisé depuis le milieu du XXème siècle dans de nombreux secteurs industriels, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt pour la décarbonation de l’économie. Ainsi, la demande pour cet « or vert » devrait ainsi être multipliée par 5 d’ici à 2050, soutenue par les préoccupations environnementales et la crise climatique.

Le Maroc se positionne comme un candidat idéal pour devenir un leader dans la production d'hydrogène vert, tirant profit à la fois de ses vastes ressources en énergies solaire et éolienne et de sa géographie stratégique, à la croisée de l’Afrique et de l’Europe. Le gouvernement marocain a d’ailleurs récemment mis en place un cadre ambitieux avec l’Offre Maroc publiée en Mars 2024 qui vise à soutenir le développement de la filière hydrogène dans le pays.   

Cet article propose d’explorer les aspects technologiques et environnementaux de la production et des usages de l’hydrogène avant d’analyser les atouts du Maroc dans cette filière et les perspectives économiques qu'elle offre à long terme pour le pays. Si les opportunités pour le Maroc de s'affirmer sur la scène mondiale de l'hydrogène sont nombreuses et prometteuses, les volumes conséquents qui seront nécessaires à la transition climatique représentent des enjeux techniques et environnementaux importants. Il s’agit de les considérer de manière objective et informée afin de collectivement faire les meilleurs choix pour soutenir la lutte contre le dérèglement climatique.  

En effet, l’hydrogène vert va jouer un rôle important au Maroc dans les prochaines années grâce à ses nombreux atouts (potentiel important d’électricité renouvelable, faible densité de population dans certaines zones et proximité géographique avec l’Europe). L’Offre Maroc qui prévoit de réserver près de 1 million d’hectares pour cette filière atteste de la forte ambition que s’est fixé le pays pour le développement de cette nouvelle filière. En mettant l’accent sur les projets ayant des externalités positives importantes pour l’économie marocaine, le pays entend développer plusieurs filières industrielles pour répondre à la demande de la filière hydrogène le long de sa chaîne de valeur et ainsi capter la majeure partie de la valeur ajoutée créée, assurant des retombées socio-économiques d’ampleur. L'attractivité de l’hydrogène se heurte cependant à des réalités environnementales importantes. La quantité importante d’eau consommée par l’électrolyse de l’eau est un enjeu considérable, surtout pour un pays confronté à d’importants épisodes de sécheresse. Enfin, la production d’hydrogène nécessite la production d’importantes quantités d’électricité renouvelable ce qui risque d’entrer en conflit avec les objectifs de décarbonation du mix électrique marocain encore très largement dépendant du charbon.

Rappel des fondamentaux de l’hydrogène

Processus de production existants

Il existe 4 procédés pour produire de l’hydrogène : le reformage de gaz naturel (le plus courant), la gazéification du charbon et de la biomasse et, enfin, l’électrolyse de l’eau. Ce dernier procédé sépare l'hydrogène et l'oxygène de l'eau en utilisant de l'électricité et représente aujourd’hui moins de 1% de la production mondiale d’hydrogène. C’est pourtant la seule source potentielle d’hydrogène vert (dans le cas où l’électricité utilisée est décarbonée), et représente ainsi un espoir pour la décarbonation de nombreux secteurs [1]

 

Marché actuel de l’hydrogène et usages futurs 

La production totale d’hydrogène se chiffrait à près de 100 millions de tonnes en 2020 et pourrait être multipliée par 5 dans des scénarios de neutralité carbone. Ainsi, dans son scénario Net Zero Emissions (NZE), l’Agence Internationale de l'Énergie (AIE) projette un rôle croissant de l’hydrogène bas carbone dans les secteurs où les émissions sont difficiles à réduire et où d’autres mesures d’atténuation peuvent ne pas être disponibles ou seraient difficiles à mettre en œuvre. Cela regroupe notamment l’industrie lourde (fabrication d’engrais azotés après transformation en ammoniac, fabrication de ciment, remplacement du charbon dans la sidérurgie), le transport de passagers, le transport maritime (sous forme de méthanol ou d’ammoniac pour les porte-conteneurs), ou encore l’aviation (sous forme de carburants durables d’aviation).

De multiples organismes de référence s’accordent pour attribuer à l’hydrogène bas carbone (bleu ou vert), un rôle croissant dans nos futures économies décarbonées. Nous noterons cependant que dans tous les cas, les baisses d’émissions de CO2 permises par l’hydrogène restent relativement faibles par rapport à d’autres mesures d’atténuation du changement climatique telles que la sobriété ou le déploiement massif d’énergies renouvelables. 

La clé : une électricité décarbonée et compétitive

L’un des principaux facteurs de coût de l’hydrogène vert est l’électricité renouvelable nécessaire pour alimenter les électrolyseurs. Les coûts de production de l'hydrogène vert sont aujourd’hui 4 à 10 fois supérieurs à ceux de l’hydrogène gris (4-12 USD/kg contre 1-2 USD/kg), même dans les sites de production les plus favorables. Les réductions attendues des coûts de production des énergies renouvelables et des électrolyseurs permettront d’augmenter la compétitivité de l’hydrogène vert sur le long-terme. Grâce à son fort ensoleillement et à sa forte exposition au vent, le Maroc possède un potentiel renouvelable important qui lui confère une place centrale dans le futur de l’hydrogène mondial.

 

La place particulière du Maroc

Espace disponible, potentiel d’énergies renouvelables et proximité avec l’Europe

Le Maroc a tous les atouts pour devenir un champion de l’hydrogène vert, grâce à ses ressources renouvelables abondantes, son foncier disponible et la stabilité de son cadre juridique. La caractéristique quasi-unique du Maroc consiste en l’abondance de sites combinant des ressources exceptionnelles à la fois pour le solaire[2] et l’éolien[3], assurant une hybridation parfaite pour le fonctionnement de l’électrolyseur et la production d’un hydrogène vert ultra-compétitif à l’échelle mondiale. Par ailleurs, le Maroc est un consommateur important d’hydrogène et de ses produits dérivés (l’Office Chérifien des Phosphates consomme d’importants volumes d’ammoniac et d’engrais azotés issus d’hydrogène), et pourrait ainsi adresser sa consommation domestique avec de l’hydrogène vert produit sur son territoire. Enfin, sa proximité avec l’Europe, qui a fixé des objectifs très ambitieux de développement de la filière hydrogène et associés (par exemple, voir les récentes obligations légales d’incorporation de carburants durables d’aviation), en fait un candidat à l’export, ce qui revêt un intérêt stratégique majeur pour le Royaume, qui peut passer d’importateur d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) à exportateur de molécules vertes. Cette perspective est d'autant plus pertinente qu’un quart de la demande mondiale d'hydrogène pourrait faire l'objet d'échanges internationaux en 2050.

“L’Offre Maroc” : une stratégie ambitieuse 

L’Offre Maroc a annoncé la mise à disposition de 1 million d’hectares de foncier pour le développement des projets d’hydrogène vert, à savoir les centrales solaires, éoliennes, batteries électrolyseurs, usines de transformation (ammoniac, méthanol, etc) et infrastructures associées. Ce chiffre considérable représente plus de 1% de la superficie du pays de 71 millions d’hectares. L’Offre Maroc était attendue depuis son annonce en novembre 2022 et visait à clarifier plusieurs éléments  essentiels pour mener à bien le développement de projets d’hydrogène vert: attribution du foncier, prise en charge du développement des infrastructures nécessaires, incitations gouvernementales, exigences du gouvernement en termes de retombées financières et sociales (visiter Offre Maroc pour plus de détails).

   

Sur ce dernier point, il est important de noter que le développement d’un marché marocain d’hydrogène bas carbone peut représenter des opportunités de développement importantes, avec des externalités positives sur l’économie et l’emploi, à différentes étapes de la chaîne de production. Les externalités positives sur l’économie, la formation et l’emploi, et plus largement le développement du Maroc dépendent directement de la part de ces activités qui seraient in fine localisées sur le territoire marocain. 

Exemples de projets en cours de développement au Maroc

Comme le reste de la filière internationale, le Maroc n’a connu à ce stade que peu d’avancées concrètes mis à part l’initiative stratégique de l’OCP, qui a commencé la construction d’un projet pilote de 1,4k tonnes par an d’ammoniac vert sur son usine de Jorf Lasfar, et qui est en phase avancée sur son giga-projet à Tarfaya : 1 GW de solaire photovoltaïque et 2,3 GW d’éolien et une usine de dessalement de 60 Mm3 qui alimentent un électrolyseur de 1,85 GW et une usine de production d’ammoniac avec un objectif de production de 1 million tonnes par an à horizon 2027 et 3 million tonnes par an à horizon 2032. D’autres projets de taille conséquente sont annoncés par une multiplicité d’acteurs, notamment européens. Par exemple, TotalEnergies aurait prévu d’investir 10,69 milliards de dollars, soit 100 milliards de dirhams, dans la réalisation d’un projet de production d’hydrogène et d’ammoniac verts à Timelzoune (Guelmim-Oued Noun). Le projet hybride devrait générer plus de 10 GW en associant énergie solaire et éolienne, pour une superficie totale d'approximativement 180 000 ha[4]. Il est intéressant de noter que les méga-projets annoncés au Maroc sont de taille largement supérieure aux plus gros projets européens. Ces projets auraient une acceptabilité sociale limitée en Europe, notamment dû à leurs impacts environnementaux élevés; des externalités négatives qui seraient à terme délocalisées par les pays du Nord aux pays producteurs comme le Maroc. 

Les problématiques environnementales et défis auxquels la production d’hydrogène est confrontée 

Des besoins en eau importants reposant sur le dessalement

La production d’hydrogène vert nécessite l’utilisation d’importantes quantités d’eau pour l’électrolyse de l’eau. La production d’1kg d’hydrogène vert nécessite la consommation de près de 30 litres d’eau dessalée (y compris besoins de refroidissement), soit approximativement 75 litres d’eau de mer. Ainsi, l’objectif de production des 3 millions de tonnes d’ammoniac de l’OCP nécessite l’utilisation de 540 000 tonnes d’hydrogène ce qui correspond à près de 270 millions de mètres cubes, soit plus de deux fois la quantité d’eau consommée par une agglomération de première importance telle que Casablanca (hypothèse : 80 L/j en moyenne pour la population de 4.6 millions d’habitants).Ainsi, si le Maroc arrivait à effectivement dédier 1 million d’hectares et que ceci était entièrement alloué à la production d’ammoniac, cela représenterait plus de 5% de la consommation annuelle d’eau du pays[5].  Cela est considérable et aurait un effet important sur la disponibilité de l’eau dans le pays.Face à la sécheresse récurrente que connaît le Royaume, et comme mentionné précédemment, l’ensemble des projets de production d’hydrogène vert devra faire appel à des usines de dessalement d’eau de mer. Ces unités de désalinisation, bien qu’ayant un impact relativement marginal sur les coûts de l’hydrogène produit (de l’ordre de 0.02-0.05 USD par kg) et sur la consommation énergétique des projets, peuvent avoir des conséquences environnementales importantes (voir Dessalement : solution à la pénurie d'eau ? - Nechfate).

Une consommation d’électricité bien supérieure à la production nationale actuelle 

En plus d’une consommation importante d’eau, la production d’hydrogène vert nécessite l’installation de larges capacités de production d’énergies renouvelables. Les technologies actuelles d'électrolyse de l’eau consomment 55 kWh d’électricité par kg d’hydrogène produit. Ainsi, les 6 millions de tonnes annuelles d’hydrogène vert nécessiteront près de 330 TWh d’électricité renouvelable, près de 10 fois la consommation annuelle du pays. Ce chiffre important pourrait encore plus augmenter en prenant en compte l’électricité nécessaire au dessalement d’eau de mer. Ces chiffres montrent l’ampleur des défis auxquels le pays est confronté avant de jouer un rôle majeur dans le marché de l’hydrogène vert mondial. Des interrogations persistent cependant quant à la pertinence de développer autant de projets d’énergies renouvelables pour la production d’hydrogène lorsqu’on sait que le mix électrique marocain reste très carboné. Ces projets pourraient potentiellement contrecarrer ou retarder l’atteinte des objectifs du pays en matière d’énergie renouvelable et éventuellement pénaliser les industriels marocains soumis au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour leurs exportations carbonées à destination de l’Union Européenne (voir Impact de la taxe carbone aux frontières européenne sur les exportations marocaines - Nechfate).

Un impact sur le territoire, la biodiversité et les populations locales

La mise à disposition par l’Offre Maroc de 1 million d’hectares de foncier pour le développement des projets d’hydrogène vert représente plus de 1% de la superficie du pays de 71 millions d’hectares. S’il est probable que la majorité de ces territoires soient sélectionnés parmi des zones géographiques à la densité de population faible, des projets de cette ampleur ne pourront être dénués d’impact sur les populations locales et la biodiversité. A ce stade, s’il y a beaucoup d’incertitudes sur ces impacts éventuels, une attention particulière devra être portée à la concertation avec l’ensemble des parties prenantes concernées (par exemple les populations locales vivant du pastoralisme le cas échéant).  

Article rédigé par Khalil Ababou & Mehdi Mikou

 

Notes : 

 

[1] L’impact de la production d’hydrogène en termes d’émissions de gaz à effets de serre est lié aux procédés mis en œuvre et aux gisements énergétiques utilisés. Afin de classifier de manière pédagogique ces différentes méthodes de production selon leurs émissions de carbone, des couleurs ont été attribuées à ces différentes méthodes. L’hydrogène marron/noir produit à partir de gazéification de charbon émet le plus de CO2. Il est suivi par l’hydrogène gris produit à partir de reformage de méthane. Ces procédés carbonés peuvent produire de l’hydrogène bleu s’ils sont associés à des unités de capture de carbone.

 

[2] Le facteur de charge ou facteur d'utilisation d'une centrale électrique est le rapport entre l'énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l'énergie qu'elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même période. Le Maroc est très ensoleillé : le solaire y a un facteur de charge > 30%.

 

[3] Au Maroc, les vents peuvent être puissants et réguliers, l’éolien y a un facteur de charge > 50%.

 

[4] Voir Article Hespress du 26 mai 2023.

 

[5] En prenant exemple sur un appel d’offre récent à Oman visant à produire près de 1 million de tonnes d’ammoniac par an (donc 180 000 tonnes de H2) sur une superficie de 30 000 hectares. Voir informations sur le projet pris comme référence sur ce lien

 

Sources :