Bonjour Mehdi. Je suis chercheur en sciences sociales au CNRS et au Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement (CIRED). J'étudie des politiques internationales qui pourraient mettre fin au changement climatique et à la pauvreté, et conduis des enquêtes auprès des populations de différents pays pour comprendre comment elles seraient reçues.
Pour mettre fin au réchauffement climatique, le plus sûr est de plafonner les émissions au niveau international, avec un plafond qui décroît chaque année conformément aux objectifs climatiques de l'accord de Paris. L'Union Européenne est en train de mettre ça en place à son échelle, en généralisant le marché carbone européen. L'idée est d'étendre ce système au monde entier, et de répartir les recettes générées d'une façon égalitaire. En pratique, des permis d'émissions seraient vendus aux enchères aux compagnies fossiles à la source des émissions de CO2, dans la limite du plafond annuel. Les recettes générées seraient reversées sous la forme d'un même transfert pour tous les humains. Ce revenu de base mondial, qui s'élèverait à 50€/mois, sortirait de l'extrême pauvreté les 700 millions de personnes qui vivent avec moins de 2€ par jour.
Pour trois raisons : morale, pragmatique, et politique. Moralement, je me soucie du bien-être des humains : c'est pour cela que je me soucie du changement climatique. Pour la même raison, je souhaite mettre fin à l'extrême pauvreté, ce qui est à juste titre le premier Objectif de Développement Durable adopté à l'ONU. Il me semblerait absurde que l'humanité lutte contre le changement climatique sans s'attaquer à la pauvreté, qui est tout autant un problème mondial. En outre, il y a une injustice climatique à réparer : les personnes les plus pauvres sont également les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique, alors qu'elles n'y ont quasiment pas contribué aux émissions de gaz à effet de serre. Pragmatiquement, les pays du Sud n'ont pas les moyens de se décarboner sans transferts financiers depuis les pays du Nord. Politiquement, ces pays exigent d'ailleurs de tels transferts afin d'augmenter leur ambition climatique. Pour qu'un pays comme l'Inde se développe de façon soutenable, il faut que les pays riches l'aide à atteindre son objectif prioritaire : l'éradication de la pauvreté.
Financièrement, les pays du Nord seraient effectivement perdants, car les hausses de dépenses des énergies fossiles seraient supérieures au revenu de base reçu, pour les personnes ayant une empreinte carbone supérieure à la moyenne mondiale. Ainsi, les pays du Nord contribueraient environ 1% de leurs revenus en transferts Nord-Sud. Mais ça n'empêche pas ces populations de soutenir le Plan mondial pour le climat. Même une fois qu'on leur a expliqué qu'ils perdraient environ 20€ par mois, 76% des Européens soutiennent le Plan. Il y a même une majorité de soutien aux États-Unis : 54% des Américains soutiennent le Plan après avoir appris qu'ils perdraient 85$ par mois. C'est le soutien sincère de la majorité, observé dans des d'enquêtes que j'ai menées sur des échantillons représentatifs de la population dans 20 pays, qui m'a convaincu que ce Plan était politiquement possible. En fait, les enquêtes montrent que les citoyens préfèrent largement une mesure climatique à l'échelle mondiale plutôt qu'une mesure à l'échelle nationale, car ils sont prêts à perdre quelques dizaines d'euros par mois s'ils sont sûrs que la mesure mettra fin au changement climatique et à l'extrême pauvreté.
Pour convaincre les gouvernements, c'est une autre paire de manche, et je pense que certains d'entre eux (en Russie, en Arabie Saoudite, et même aux États-Unis) ne pourront pas être convaincus. Qu'à cela ne tienne, le Plan peut être mis en œuvre par les pays volontaires, dès lors qu'ils sont suffisamment nombreux. Le Plan pourrait être mis en œuvre par les pays du Nord dont la population le soutient largement (tels que l'UE) et par les pays du Sud (qui seraient financièrement gagnants ou du moins pas perdants) ; les deux tiers des émissions mondiales seraient ainsi couvertes, et une dynamique positive serait enclenchée.
Maintenant, comment faire pour convaincre les gouvernements de se rallier à un tel plan ? Il faut aller leur parler, et leur expliquer que la population est prête à accepter une telle mesure. C'est ce que j'ai décidé de faire après avoir découvert les résultats de mes enquêtes, en fondant l'association de plaidoyer Global Redistribution Advocates. Nous rencontrons des conseillers ministériels, des parlementaires et des diplomates du monde entier, et la plupart se montrent réceptifs à l'idée. Jusqu'à présent, aucun pays n'ose porter cette initiative officiellement, mais on y travaille.
Le principal gain, difficile à quantifier, c'est un climat stabilisé à un niveau encore vivable. Le Maroc serait également financièrement gagnant, mais très légèrement, puisque les Marocains ont en moyenne une empreinte carbone très légèrement inférieure à la moyenne mondiale. D'après mes estimations, les Marocains gagneraient en moyenne 17$ par an en 2030. Sur l'ensemble du 21ème siècle, les transferts vers le Maroc s'élèveraient à 0,1% de son PIB, comme vous pouvez le voir sur cette carte.
Pour aller plus loin, vous pouvez:
- Acheter le livre en papier ou le lire gratuitement en ligne
- Suivre l'association de plaidoyer Global Redistribution Advocates
- Regarder une vidéo qui présente plus en détail ce plan
- Suivre Adrien sur les réseaux sociaux
Propos recueillis par Mehdi Mikou