Face au risque grandissant de pénurie d’eau (cf. article à venir sur la pénurie d’eau), le Maroc a adapté son plan national de gestion de l’eau à travers le Programme National pour l’Approvisionnement en Eau Potable et l’Irrigation (PNAEPI) pour l’horizon 2020-2027.
Afin d’augmenter l’offre en eau, le Programme prévoit non seulement la construction de 20 nouveaux barrages mais aussi de plusieurs stations de dessalement. En réduisant la quantité de sel présente dans de l’eau salée (et les eaux saumâtres), le dessalement permet d’en obtenir de l’eau douce à usage domestique, agricole ou industriel.
En rendant exploitables les eaux du long littoral marocain, le dessalement est une technologie prometteuse. Mais va-t-elle suffire à éliminer le risque de pénurie d’eau ?
Des projets ambitieux à l'horizon 2030
Le dessalement n’est pas un procédé nouveau au Maroc, les premières unités ayant vu le jour dès les années 1970 à Boujdour et Tarfaya. Depuis, une demi douzaine de stations ont été construites (cf. carte) pour une capacité totale de dessalement de 100.000 mètres cubes par jour. Les projets futurs sont bien plus ambitieux : entre 3 et 20 unités de dessalement devraient être construites d’ici 2030. La plus grande, située à Casablanca, vise une capacité de dessalement de l’eau de mer de 300.000 mètres cubes par jour. Une réserve additionnelle d’eau douce qui répondrait plus que largement aux besoins journaliers des 4,57 millions de Casablancais soit 365.000 mètres cube (sur la base de 80 litres par jour, consommation domestique journalière de référence d’un habitant de la ville de Casablanca en 2014).
La pénurie d’eau potable de la plus grande ville du pays semble ainsi solutionnée, mais à quel prix ?
le triple coût du dessalement
Éliminer le sel de l'eau de mer n'est pas aussi facile qu'il n'y paraît. Dessaler l’eau de mer est un procédé complexe et coûteux, sur le plan énergétique, financier et environnemental et ce, quel que soit le procédé utilisé. Il peut être effectué selon deux types de procédés: thermiques, par distillation par exemple, ou membranaires, moins énergivores ; l’osmose inverse étant le procédé membranaire le plus courant. Au Maroc, c’est l’osmose inverse qui sera le plus probablement privilégiée pour les unités futures d’après l’ONEE : en voici une estimation de son triple coût, pour le dessalement de l’eau de mer.
Pour plus de détails techniques sur les différents procédés de dessalement, une description détaillée en est faite dans certains articles scientifiques.
Coût énergétique : de quoi augmenter de 13 % notre facture énergétique
Le chiffre : 4-6 kWh/m3
Prenons l’exemple de Casablanca. En considérant que toute l’eau potable proviendra de la future station de dessalement de la région, plus de 117 kWh d’électricité seraient nécessaires pour couvrir l’intégralité des besoins annuels en eau potable d’un seul Casablancais, soit 13 % de sa consommation électrique actuelle. Pour toute l’agglomération de Casablanca, cela équivaut à 535 GWh.
Pour un usage agricole, les besoins en eau dessalée sont bien plus élevés : 4000 à 6000 mètres cubes par hectare chaque année. En considérant les 19.000 hectares où la pastèque était cultivée en 2021, et à raison de 6000 mètres cubes d’eau requis, par hectare et par an, le dessalement de cette quantité d’eau nécessiterait près de 456 GWh d’électricité.
Coût financier : le dessalement, une solution raisonnable pour l’eau potable et pour de rares cultures
Le chiffre : 0.45–2.51 $/m3 (moyenne sur 5 pays) - 0.9$-10 dhs/m3 (Maroc)
Le coût de production du mètre cube d’eau dessalée est très variable, selon le montant de l’investissement initial, la capacité de l’installation et le coût de l’énergie. Le coût cité en dollars est issu d’une étude économique concernant plusieurs plusieurs pays dont le Maroc ne fait néanmoins pas partie. Au Maroc, ce coût serait notablement réduit par le faible coût de l’électricité, à près de 10 dirhams par mètre cube .
Il resterait toutefois supérieur au prix des souscriptions actuelles des agriculteurs aux fournisseurs publics d’eau destinée à l’irrigation (les Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole et l’Agence des Bassins Hydrauliques), ne dépassant pas 1 dirham par mètre cube . Irriguer avec de l’eau dessalée serait alors une aberration économique dans de nombreuses filières agricoles, à l’exception des filières à très forte valeur ajoutée, comme la fraise .
Coût environnemental : vers une augmentation significative des émissions du Maroc
Le chiffre : 0.4–6.7 kg CO2eq/m3
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au dessalement sont essentiellement issues de la production électrique nécessaire à faire fonctionner la station. Elles dépendent donc des besoins électriques du procédé utilisé et du mix énergétique du pays concerné. Une étude a pu toutefois estimer un intervalle de coût carbone du dessalement par osmose inverse. Au Maroc, où près de 80% de la production électrique est issue de la combustion fossile (du charbon, du pétrole ou du gaz), l’empreinte carbone du dessalement s’approche (dans les conditions actuelles) de la limite haute de cette estimation. Les émissions de GES liées à l’irrigation des 19.000 hectares de pastèques pourraient atteindre 684 kt CO2eq / an, augmentant de 4,5% les émissions nationales du secteur agricole.
Au coût carbone du dessalement doit aussi s’ajouter le coût environnemental, plus difficile à quantifier, du rejet de saumure (eau très concentrée en sel) contenant des résidus de produits chimiques (cuivre, chlore) par chaque station. Pour chaque litre d’eau dessalée, une unité de dessalement doit rejeter 1,5 litres de saumure . La pratique courante reste de les rejeter directement dans l’océan. Ces rejets ont un impact néfaste pour l’écosystème océanique local puisqu’ils augmentent la concentration en sel et y introduisent des composés toxiques. Cependant, plusieurs alternatives au rejet direct dans l’océan existent .
loin de la solution miracle, un levier parmi d'autres
Il est clair que pour sécuriser l’approvisionnement en eau, la stratégie gouvernementale ne peut pas reposer uniquement sur un procédé aussi énergivore que le dessalement. Ainsi le PNAEPI prévoit également de développer le traitement et la réutilisation des eaux usées, notamment pour l’arrosage des espaces verts urbains. Une prochaine étape pourrait être de suivre l’exemple d’autres pays du pourtour méditerranéen, en généralisant l’utilisation des eaux usées recyclées à l’irrigation agricole.
Mais ce n’est pas suffisant, car l’agriculture représente 85% de la consommation d’eau au Maroc et l’eau utilisée en agriculture peut difficilement être recyclée. Résoudre la pénurie d’eau au Maroc passera donc par la maximisation de la ressource en eau douce (par le dessalement notamment) mais aussi et surtout par une optimisation de son usage, notamment en agriculture. Divers leviers existent alors : agroforesterie, cultures sous couvert, variétés moins voraces en eau, goutte-à-goutte enterré… [bientôt des articles sur ces questions].
Article par Kenza Himmich et Ali Hatimy