En juin 2021, l'Union Européenne (UE) s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55% au moins en 2030 par rapport à 1990 à travers l'adoption du paquet Fit for 55. Parmi les 12 propositions de ce paquet, on peut noter la mise en place d'un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). En taxant le contenu carbone de ses importations, l'UE cherche à protéger la compétitivité de son industrie et à empêcher le phénomène de fuite de carbone. Celui-ci se produit lorsque des entreprises délocalisent leur production vers des pays ayant des réglementations environnementales moins ambitieuses.
Durant la phase qui débute en octobre 2023, les importateurs devront uniquement déclarer le contenu carbone (émissions directes et indirectes) des biens importés. A partir de janvier 2026, le MACF impactera plus particulièrement les secteurs du ciment, du fer et de l'acier, de l'aluminium, des engrais, de l'électricité et de l'hydrogène. Plus concrètement, pour importer des biens issus de ces différents secteurs, il faudra s'acquitter d'une taxe supplémentaire proportionnelle au contenu carbone de ces produits. Le montant de cette taxe est adossé au marché d'échanges de quotas CO2 du marché EU-ETS.
Ces secteurs ont été choisis pour deux raisons. Ils représentent d’une part un fort risque de fuite de carbone et une forte intensité carbone (mesurée en kg CO2 par € de valeur ajoutée). D’autre part, leur importance est primordiale pour l'industrie européenne. Toutefois, les prochaines échéances du mécanisme prévoient l’extension de cette taxe à d'autres secteurs de l'économie.
A travers le renchérissement du coût des importations de produits issus des pays hors UE, la mise en place de ce mécanisme constitue donc un potentiel risque de perte de compétitivité pour les exportations marocaines. Ce risque est d'abord fonction de l'exposition des exportations marocaines, c'est à dire de la part des exportations à destination de l'UE pour les biens couverts par le MACF par rapport au total des exportations du pays. Ensuite, ce risque peut être quantifié en mesurant la vulnérabilité du pays - qui s'entend comme une perte de compétitivité - face à cette nouvelle réglementation.
Les Engrais, principal secteur exposé au MACF
Pour juger de l'exposition des exportations marocaines, nous nous sommes basés sur les données du World Integrated Trade Solution (WITS) pour l'année 2019, qui relatent de manière détaillée l'ensemble des échanges commerciaux entre pays. Ces données permettent de calculer la part des exportations marocaines soumises à cette nouvelle réglementation. Nous avons d'abord étudié l'exposition des secteurs du ciment, du fer et de l'acier, de l'aluminium et des engrais (scénario MACF Base), avant d'étendre l'analyse à d'autres scénarios (Scenario 0, Scenario 1, Scenario 2) incluant progressivement de plus en plus de secteurs qui pourraient être intégrés dans les prochaines révisions du MACF. Pour connaître le détail de ces scénarios, nous invitons le lecteur à se pencher sur cet article dont sont tirées la majeure partie de nos analyses.
Dans le scénario de base, la part des exportations marocaines soumises au MACF est de l'ordre de 1.6% (avec un secteur des engrais qui compte pour 1.4%) et pourrait atteindre plus de 10% si le mécanisme est étendu à d'autres secteurs de l'économie. En réponse au MACF européen, le congrès américain a mentionné l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières en juillet 2021. En supposant un alignement du MACF américain au MACF européen, près de 13% des exportations marocaines pourraient à terme être impactées par une taxe additionnelle. Ce chiffre pourrait augmenter si on prend en compte les exportations d'électricité et d'hydrogène non incluses dans cette étude et qui seront amenées à augmenter dans les prochaines années.
Une PLus grande vulnérabilité pour les secteurs du ciment et de l'aluminium
Après la mise en place du MACF, les exportateurs marocains devront payer une taxe supplémentaire pour entrer dans le marché européen. Cette taxe additionnelle sera fonction du contenu carbone de la production (mesuré en tonnes CO2 par unité de bien produit), si bien que les producteurs les plus efficaces (ayant un contenu carbone le plus bas) verront leur compétitivité augmenter. Les exportateurs qui ne sont pas en mesure de calculer le contenu carbone de leur production se verront allouer une taxe du même montant que les 10% des installations les moins efficaces de l'Union Européenne.
En utilisant les données d'intensité carbone de la base de données GTAP, nous avons comparé le contenu carbone des différents secteurs soumis au MACF pour différents pays afin de déterminer ceux qui risquent le plus de perdre en compétitivité. Sur les secteurs des engrais, du fer et de l'acier, le Maroc a un des contenus carbones les plus bas parmi les principaux pays exportateurs de biens à destination de l'UE. Cela se traduit par un potentiel gain de compétitivité pour le pays. En revanche, sur l'aluminium et le ciment, le paiement d'une taxe carbone aux frontières risque de nuire à la compétitivité du pays.
Note : Pour des raisons de confidentialité des données, nous avons omis les valeurs de contenu carbone sur l'axe des ordonnées.
Pour ne pas être désavantagé sur le marché européen, les exportateurs marocains d'aluminium et d'acier pourraient décider de réorienter leurs exportations vers d'autres marchés. Cela est d'autant plus plausible qu'une forte diversité de partenaires commerciaux sur ces exportations existe aujourd'hui. Pour rendre compte de la concentration (ou de la diversité) des partenaires commerciaux sur les biens régulés, nous allons calculer l'index de Herfindahl-Hirschman (IHH). Dans le cas où l'ensemble des exportations sont destinées à un seul partenaire commercial, la valeur de l'IHH est de 1. Dans une situation de forte diversification des partenaires commerciaux, la valeur de l'IHH tend vers 0. L'IHH pour les secteurs de l'aluminium et du ciment valent 0.58 et 0.52 respectivement, attestant d'une moyenne diversification des partenaires commerciaux. Du fait de la faible des exportations de ces secteurs à destination de l'UE, le risque demeure pour l'instant limité mais pourrait s'accroître si d'autres partenaires commerciaux décident de s'aligner sur les réglementations environnementales européennes.
Le mot de la fin
L'impact du MACF sur les exportations marocaines tous secteurs confondus, reste limité dans sa première phase (ciment, fer et acier, aluminium, engrais, électricité et hydrogène) mais pourrait impacter près de 10% des exportations si le mécanisme est étendu à d'autres secteurs. Cette baisse des exportations risque de diminuer la disponibilité des devises et pourrait engendrer des effets macro-économiques plus larges.
En se focalisant sur la première phase du MACF, on s'aperçoit que le secteur marocain des engrais - grâce à son faible contenu en carbone relativement aux autres pays exportateurs vers l'Europe - pourrait gagner en compétitivité dans les prochaines années. Cependant, du fait d'une électricité marocaine encore largement dominée par le charbon, les contenus carbones de l'aluminium et de ciment élevés risquent de dégrader la compétitivité marocaine dans ces secteurs. Le pays pourrait alors se tourner vers d'autres marchés ne mettant pas en place ce type de réglementation ou œuvrer à la réduction du contenu carbone de sa production d'électricité. A ce propos, l'inclusion de l'hydrogène dans la dernière phase de révision du MACF européen renforce l'importance de produire un hydrogène bas carbone (vert) au Maroc.
Comme évoqué précédemment, les industriels qui ne sont pas en mesure de quantifier le contenu carbone de leur production devront payer une taxe équivalente à celle payée par les industriels européens les moins efficaces. Il y a donc un enjeu national à mesurer, répertorier et inventorier les émissions carbones des industries marocaines sur l'ensemble de leurs chaînes de valeurs. Au delà de participer à réduire les émissions nationales à travers le renchérissement des activités polluantes, la mise en place d'une taxe carbone pourrait accélérer la montée en compétence du pays sur les questions d'évaluation des émissions carbones.
Article par Mehdi Mikou