Comment adapter les villes au réchauffement climatique

Plage des matières

 

Le contexte marocain
 
L’îlot de chaleur urbain et la température ressentie
Solution n°1 : l’évaporation de l’eau
Solution n°2 : l’évapotranspiration des plantes
Solution n°3 : l’ombre dans la ville
Solution n°4 : orienter et valoriser les vents
Solution n°5 : les couleurs et matières
Urgence d’adopter un ‘’nouvel’’ urbanisme climatique

 

CINQ SOLUTIONS POUR RAFRAÎCHIR LES VILLES MAROCAINES

 

Le contexte marocain

Selon les projections des Nations Unies, la population mondiale devrait atteindre environ 8,5 milliards d'individus d'ici 2030 avec un taux d’urbanisation estimé à 60%. Les dynamiques démographiques au Maroc confirment cette la tendance haussière mondiale, et sont projetée à 43.6 millions d’habitants en 2050 contre 33.8 en 2014, soit +22% en 36 ans. Cette hausse s’accompagne d’un accroissement de la population urbaine puisqu’en 2030, 65% de la population mondiale vivra en ville, et on estime ce chiffre à près de 75% en 2050[1].

Une telle croissance y compris au Maroc, soulève des défis significatifs en terme de facture énergétique, d’infrastructures, d’habitabilité et de climat urbain.

Au Maroc, le climat des dernières années a été particulièrement menacé par des vagues de chaleurs sèches et des canicules devenues récurrentes avec les changements climatiques : 48° degré à Marrakech en juillet 2012, record battu en juillet 2023 avec 49.6°. Ou encore plus de 50°C à Agadir la même année, ou 48°C à Beni Mellal en 2024, canicule ayant fait une vingtaine de morts.

Les évolutions climatiques sont multiples, et se font sentir de diverses manières, souvent comme une dégradation de la situation passée ou une projection pessimiste : comme l’indiquent les études de Dennis Meadows, James Hansen, du GIEC, ou Don’t look up … Heureusement, les solutions et alternatives d’adaptation existent aussi en nombre : s’inspirant de pratiques vernaculaires et climatiques ou d’avancées technologiques.

L’objectif de cet article est d’explorer cinq solutions ou leviers bioclimatiques pour adapter les villes face aux vagues de chaleurs. Le terme bioclimatisme revient souvent dans les récits du développement durable. Il s’agit de concevoir en tirant parti des conditions d’un site et de son environnement (soleil, vent, etc…) ; au lieu de les subir et d’y pallier par des efforts énergétiques conséquents. Dans la pratique contemporaine, les approches bioclimatiques et technologiques sont complémentaires. Mais le bioclimatisme, dans son acclimatation et sa sobriété, devrait être prédominant !

 

L'îlot de chaleur urbain et la température ressentie

L’Ilot de Chaleur Urbain (ICU) est défini comme une différence de température de l’air ou de surface observée entre un milieu urbain et péri urbain ou rural, souvent la nuit pour l’air et la journée pour la surface[2]. En effet la ville est elle-même source d’augmentation des températures, au-delà de l’effet de serre global, par sa conception et son activité. Il est possible d'identifier deux principales catégories de surchauffes locales. Les premières sont dues à la production et à la rétention de chaleur et sont surtout de nature diurne (voiture, densité, albédo-sombre), les secondes sont liées aux possibilités limitées de rafraichissement et surviennent surtout la nuit (vents frais, irradiation nocturne, évaporation, …)[3].

Notons que les conséquences de l'îlot de chaleur dépendent toujours du contexte géographique et climatique. Dans des ville comme Milan, Toulouse, Casablanca ou Marrakech, ils induisent en été des situations d’inconfort, une hausse du taux de mortalité, des surcoûts et des surconsommations d’énergie froide (climatisation notamment), etc …[4]

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Fig. 1 : schéma - principe de l’ilot de chaleur urbain (Source Nechfate I.Sakout)

On constate qu’en ville, les températures peuvent être supérieures de 10 degrés par rapport à la campagne, et que ce phénomène s’observe surtout la nuit à cause des vents frais bloqués, ou encore qu’en journée, les différences de températures peuvent atteindre 8 degrés entre un îlot de chaleur localisé (chaussée et bâti dense) et un îlot de fraîcheur (parc) à 500m l’un de l’autre[5].

La distinction entre l’abaissement des températures de l’air ou de surface dans les espaces, et le confort ressenti de l’usager en ville à un instant donné est nécessaire. Souvent ces deux notions sont confondues, car la limite est parfois très fine.

Lorsque l’on parle de confort thermique, on parle de température ressentie. Les indicateurs de confort thermique en extérieur sont nombreux. Par exemple, l’UTCI (Universal thermal comfort index) fait partie des plus exhaustifs et plus admis par la communauté des ingénieurs et climaticiens pour quantifier le ressenti thermique d’une personne. La température de l’air, directement liée à l’ICU, est alors un paramètre parmi ceux dont tient compte l’UTCI. Tu peux développer plus…donner un ordre de grandeur…on reste à notre fin.

Comme annoncé précédemment, la température de l’air est une composante du confort thermique. Mais les deux notions ne montrent pas toujours la même tendance. Par exemple, la couleur d’un sol extérieur peut influencer la température de l’air ou la température radiante par rayonnement ou réflexion : si le sol est sombre, ce dernier peut surchauffer en été et augmenter considérablement la température de l’air, tandis que s’il est clair, il ne surchauffe pas mais reflète le soleil sur la personne qui marche dessus, et c’est cette dernière qui surchauffe. Par conséquent, avec un sol clair exposé au soleil, la température de l’air est moins élevée, mais le risque de stress thermique est plus important à cause du rayonnement, autrement dit : un sol foncé va plus se réchauffer et plus vite qu’un sol clair.

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Fig. 2 : schéma - paramètres du confort hygrothermique (Source Nechfate I.Sakout)

Solution n°1 : l’évaporation de l’eau

Lorsque l’eau s’évapore ou condense, elle absorbe ou rejette des calories dans l’air ambiant, donc le rafraîchit ou le réchauffe. Faire évaporer de l’eau pour rafraîchir l’air ambiant est une idée ancienne employée dans les bâtiments comme dans les riads et les maisons traditionnelles des médinas, que nous pouvons expérimenter en nous approchant d’un littoral par exemple.

Le diagramme psychométrique (schéma ci-dessous) est un outil bien connu en études thermiques pour apprécier notamment la température de l’air, l’humidité absolue et relative de cet air[6], ainsi que l’enthalpie contenue dans l’air. Sur le diagramme ci-dessous, on peut observer qu’en évaporant 4g d’eau dans 1 kg d’air (équivalent à 0.9 m3 d’air à ces températures), on peut diminuer la température de cette masse d’air de 10°C. Notons que sur l’exemple illustré, on part d’un air probable dans plusieurs villes du Maroc (comme Marrakech), c’est-à-dire 35°C et 28% d’humidité relative, pour arriver à un air à 25°C et 70% d’humidité relative. En s’arrêtant à une évaporation équivalente à 50% d’humidité relative (confort optimal d’humidité), la température de l’air peut baisser jusqu’à 28°C.

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Fig. 3 : diagramme psychométrique et rafraîchissement adiabatique (Source Nechfate I.Sakout)

Les bassins ou fontaines dans les riads marocains sont un parfait manifeste de ce principe : l’air circulant dans le patio se rafraîchit au contact de l’eau avant d’entrer dans les pièces alentour. D’autres exemples, comme les badguirs iraniens, peuvent être cités à l’échelle du bâtiment, il s’agit de tours à vents souvent reliées à des bassins d’eau en sous-sol. A l’échelle urbaine, cette solution peut être mise en œuvre par la présence d’eau ponctuellement ou de manière étalée pour créer des îlots de fraîcheur, ou combinée à une stratégie de vents à proximité d’un littoral ou d’une oasis.

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Fig. 4 : schéma - rafraichissement adiabatique urbain (Source Nechfate I.Sakout)

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Fig. 5 : parc Lalla Hasna, Marrakech Maroc (source Google)

Cependant, l’eau est une ressource de plus en plus rare ! Il faut donc veiller à la préserver tout en évitant son évaporation, l'eau pourrait alors être mise en circulation en sous-sol par exemple, et apparaître lorsque nécessaire pour éviter des dépenses inutiles. Dans des climats chauds et secs comme celui de Marrakech, une telle solution peut permettre de diminuer la température localement jusqu’à -10° au pic de la journée (démontrable sur le diagramme psychométrique, avec une marge de -30% pour éviter trop d’humidité dans l’air).

Solution n°2 : l’évapotranspiration des plantes

Pour revenir à des préfixes en “bio”, la bio-assistance est un domaine qui tend à mettre à profit les services écosystémiques, c’est-à-dire les services que le vivant (dans notre cas les végétaux) peut nous rendre, comme la filtration de l’eau, la purification de l’air, le rafraîchissement ou l’ombrage[7]

Pour se rafraîchir, les plantes utilisent la transpiration et l’évaporation : le corps dégage de l’eau, qui peut soit accélérer les échanges thermiques par conduction avec l’air (l’eau étant aussi un matériau très conducteur), soit s’évapore en contact avec la peau (ou la feuille) pour la rafraîchir par changement de phase comme énoncé précédemment. Pour un arbre, les stomates à la surface des feuilles se dilatent permettant à l’eau de s’échapper et s’évapore (davantage si l’humidité est faible) permettant de rafraichir l’air extérieur.

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Fig. 6 : arsat Moulay Abdessalam, Marrakech Maroc (Source Google)

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Fig. 7 : schéma – évapotranspiration (Source Nechfate I.Sakout)

La mise en œuvre d’un parterre régulièrement arrosé peut avoir le même effet, et peut être d’autant plus bénéfique pour le confort ressenti car le phénomène a lieu à même le sol sur lequel on se situe. Notons que l’usage des méthodes d’évaporation va naturellement augmenter l’humidité de l’air ambiant, cette technique est donc très efficace dans les milieux secs comme Marrakech ou Fès, mais peut avoir un effet négligeable dans un milieu déjà humide comme Casablanca ou Agadir.

Parmi les exemples les plus représentatifs de la conception traditionnelle marocaine, on peut citer les arsats, jardins emblématiques du paysagisme arabo-andalou. Ces arsats se situaient généralement aux alentours des médinas ou en leur sein, et étaient autrefois des lieux de paix et de détente pour les habitants des médinas. Déjà il y a plusieurs siècles, une attention particulière était attribuée aux climats locaux ; en effet les plantes des arsats étaient (et sont toujours) en majorité des plantes valorisant la ressource pluviale et comestible comme des oliviers, les figuiers, les dattiers ou les muriers … De telles techniques sont de nouveau désirables pour l’avenir.

Solution n°3 : l’ombre dans la ville

Dans un contexte où le ciel est très clair en été, le rayonnement solaire direct participe davantage à l’inconfort thermique des citadins et à la surchauffe des villes : se mettre à l’ombre devient une nécessité.

Comme mentionné précédemment, l’UTCI est un indicateur tenant compte simultanément de plusieurs paramètres impliqués dans la sensation de confort d’un individu : la température de l’air, la température radiante moyenne (soleil et surfaces), l’humidité, la vitesse du vents …. Cet indicateur s’exprime en °C ressenti, mais notre lecture sur les graphiques ci-dessous correspond aux catégories de confort identifiés.

On peut observer sur les graphiques ci-dessous les catégories de confort hygrothermique pour la ville de Marrakech. Chacun des deux graphiques illustre une situation décrite par les icônes à gauche : en haut à l’ombre et sans vent, en bas exposé au soleil avec du vent. On comprend alors qu’à Marrakech, qui est une ville avec un vent faible, et un soleil fort, il est préférable de se mettre à l’ombre en été et mi-saison, et que le vent seul ne suffit pas pour éviter les situations de stress thermique (bien qu’il puisse être efficace si combiné à d’autres stratégies).

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Fig. 8 : graphiques annuels des catégories de confort UTCI à Marrakech (Source Nechfate I.Sakout)

Les moyens de créer de l’ombre sont nombreux, mais ils doivent toujours être étudiés en lien avec la course du soleil, le climat local, la disponibilité de l’eau pour rafraîchir, et l’usage souhaité : une conception optimale crée de l’ombre s’il fait chaud, et accueille les apports solaires s’il fait froid. Pour reprendre l’exemples des anciennes médinas marocaines, la proximité des constructions créait un tissu dense et auto ombragé. Les chemins de l’ombre sont complétés par des couvertures qui filtrent la lumière dans certaines ruelles, ou par les arbres dans les patios. Notons que l’arbre du patio est souvent à agrumes, donc un arbre au feuillage caduc qui ombrage en été et accueille le soleil en hiver.

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Fig. 9 : schémas d’ombrage - le bâtiment, l’arbre, le préau (Source Nechfate I.Sakout)

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Fig. 10 : médina de Fès, Maroc (Source Google)

Solution n° 4 : orienter et valoriser les vents

Dans la conception urbaine bioclimatique, on parle souvent de trame. Il s’agit d’une structure qui contribue à faire la ville : la trame bâtie, trame verte, trame bleue, trame aéraulique. Cette dernière existe dans les vides ou l’air peut circuler, donc la morphologie des tissus urbains est directement liée aux effets de vents qui s’y produisent. A l’échelle urbaine, une trame aéraulique optimale est rarement rectiligne, elle est ramifiée, irrégulière et peut être amplifiée ponctuellement suivants les vents dominants souhaités : on parle de ville dessinée par le vent[8]. Selon sa vitesse, le vent peut jouer un rôle sur la température ressentie par les usagers (1m/s équivaut à -3° ressenti selon le Guide de ventilation Woods, ou -5° combiné à l’humidité selon Givoni), et aussi sur l’abaissement des températures de l’air en dissipant la chaleur accumulée par convection accélérée.

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Fig. 11 : profil de la rue et formation des vortex (source H. Wu, 1994)

La conception climatique d’un tel tissu urbain doit partir de l’analyse des conditions météorologiques du site en synergie avec les usages projetés. On peut citer l’exemple de la ville nouvelle de Zenata, conception des architectes Reichen & Robert et l’Atelier Franck Boutté, spécialisés en conception environnementale. Pour ce projet en cours de finalisation, les études effectuées ont indiqué que la trame aéraulique permet d’abaisser les températures de l’air de 2 à 3 degrés lors des pics de chaleur annuels en extérieur, et permettent aussi une continuité de la stratégie de ventilation à l’échelle du bâtiment par simple ouverture des fenêtres. Le schéma ci-dessous permet d’apprécier l’objectif principal de la conception : valoriser les vents forts souhaités, dans ce cas Nord-Ouest (à gauche) et Nord (à droite), rafraichis car provenant du littoral. Aussi des stratégies combinées peuvent voir le jour : trame aéraulique qui fonctionne avec une trame hydraulique et/ou verte…

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Fig. 12 : étude aéraulique pour la ville de Zenata (source Atelier Franck Boutté)

Notons par ailleurs que même en été lorsqu’il fait chaud, les vents peuvent être source d’inconfort thermique s’ils transportent un air plus chaud que la température ambiante (ou la température de la peau à 32°C). Ou encore si la vitesse du vent ou les accélérations sont trop importantes, ceci indépendamment de la température ou du stress thermique : le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment fixe un seuil d’inconfort à 3.6 m/s, et propose des plages de vitesse adaptées à différents usages. Par exemple dans un tissu urbain comme la médina d’Essaouira, ou les vitesses de vent peuvent être importants (même dérangeants), on peut dire que la ville est en partie dessinée par le vent et s’en protège par ses murailles et ses ruelles discontinues ; ou encore les anciennes villes situées dans le désert marocain ou dans des sites sableux se protègent des tempêtes de sable.

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Fig. 13 : plages de confort au vent en % de temps annuel (source CSTB)

 

Solution n°5 : les couleurs et matières

L’impact des matériaux extérieurs sur le confort thermique est double. D’une part l’incidence sur la température radiante, c'est-à-dire la réflexion et le rayonnement, les propriétés influentes sont l’albédo et l’émissivité. D’autre part l’incidence sur la température de l’air, c'est-à-dire par convection, la propriété influente est l’effusivité du matériau, directement liée à son inertie thermique.

L’albédo (entre 0 et 1) est directement lié à la couleur (ou teinte), il mesure la capacité d’une surface opaque à réfléchir ou absorber l’énergie électromagnétique (les rayons du soleil par exemple). Il peut se caractériser simplement par trois paramètres : le coefficient de réflexion, d’absorption, et la rugosité. Par exemple, le sable beige aurait un albédo autour de 0.3, tandis que la neige autour de 0.9 ; cela signifie que 30% ou 90% de l’énergie interceptée est reflétée, et le reste est absorbé pour contribuer à l’échauffement de la surface et du matériau, puis au rayonnement infrarouge. Concernant l’émissivité, elle correspond à la capacité du matériau à rayonner la chaleur, surtout en infrarouge. Elle dépendant de sa couleur et de sa brillance : une surface noir mat émet plus qu'une surface beige et polie.

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Fig. 14 : propriétés de radiance d’une surface (Source Nechfate I.Sakout)

L’inertie thermique est quant à elle une notion plus complexe, qui caractérise la matière plus que la surface. C’est la résistance du matériau aux changements de température. En d'autres termes, elle dépend de sa capacité à stocker de la chaleur et à la restituer lentement. Elle est directement liée à des propriétés comme la capacité calorifique, la diffusivité ou l’effusivité. Par exemple, le béton ou la terre ont une inertie importante ; tandis que le bois, le verre ou les isolants synthétiques légers ont une faible inertie. La capacité thermique définit la quantité de chaleur que peut contenir le matériau ; la diffusivité correspond à la vitesse à laquelle les calories se déplacent dans la matière, et l’effusivité est la capacité à échanger de l’énergie avec à l’extérieur par conduction (au toucher) ou convection (par mouvement d’air). Pour les formules ci-dessous : λ = conductivité thermique (en W/m.K) ; ρ = densité du matériau (en kg/m3).

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Fig. 15 : propriétés thermiques inertielles d’un matériau (Source Nechfate I.Sakout)

Notons qu’en termes d’albédos ou d’inertie, il n’y a pas non plus de solution clef ou de recette parfaite. Les matériaux et les couleurs doivent être pensés en synergie avec la stratégie de confort globale ; le projet pour le parvis de Notre-Dame de Paris en est un bel exemple. Etant donné que pour des raisons patrimoniales le parvis ne peut pas être ombragé, et son sol doit être en pierre claire (comme la cathédrale), alors le projet est initialement contraint par un albédo élevé exposé au soleil en été. Afin de palier à ce risque de stress thermique, d’abord les abords du parvis sont généreusement plantés ; mais un dispositif spécifique permet de maintenir le sol frais dans les moments critiques : une lame d’eau de la Seine (boucle fermée) peut circuler sous les dalles à quelques centimètres des passants, la pierre ayant une bonne capacité calorifique avec une effusivité moyenne et une émissivité élevée, elle met à profit la fraîcheur de l’eau et son évaporation.

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Fig. 16 : étude de confort UTCI pour le parvis de Notre-Dame de Paris (source Atelier Franck Boutté)

Un dernier phénomène physique, plus souvent valorisé dans le bâtiment, est l’hygroscopicité des matières. Un matériau hygroscopique est capable d'absorber et de retenir l'humidité de l'environnement, en fonction des conditions d'humidité relative. En d'autres termes, il attire naturellement l'eau présente dans l'air sous forme de vapeur, et peut ensuite la relâcher si l'humidité ambiante diminue. La courbe de sorption définit la quantité d’humidité que peut contenir le matériau en fonction de l’humidité relative de l’air. Cela permet de réguler naturellement l’humidité ambiante ; mais il survient aussi de la condensation (en surface ou dans les pores) puis un séchage pouvant influencer directement la température du matériau et de l’air, par changement de phase. Par exemple, le bois, la terre crue argileuse ou la chaux sont des matériaux hygroscopiques ; tandis que le béton, le verre ou le plastique ne le sont pas.

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Fig. 17 : Moulay Idriss Zerhoun, Maroc (source Google)

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Fig. 18 : Shibām, Yémen (source Google)

On peut observer sur les photos ci-dessus deux villes en terre crue compactée (un matériau abondant au Maroc), à six mille kilomètres l’une de l’autre, dont les toits et les murs exposés sont recouverts d’enduit clair à la chaux. A gauche, la cité antique de Moulay Idriss Zerhoun datant du VIIIe siècle, surplombe la plaine du Saïs à proximité de Meknès. Les rues étroites protègent du soleil imposant des montagnes et l’albédo des constructions leur évite de surchauffer. A droite, la ville de Shibām au Yémen, fondée au IIIe siècle puis agrandie au XVIe siècle. La grande particularité de cette ville est la hauteur des bâtiments construits entièrement en terre argileuse, faiblement émissive et hygroscopique, et qui par leur densité régulent les conditions hygrothermiques en créant un microclimat propice au confort.

 

Urgence d’adopter un ‘’nouvel’’ urbanisme climatique

L’intégration de solutions durables et résilientes dans la conception des villes constitue une réponse nécessaire aux défis climatiques grandissants, en particulier au Maroc, où les vagues de chaleur extrêmes deviennent de plus en plus fréquentes. Des stratégies telles que la gestion optimisée de l’eau, l’usage des plantes pour favoriser l’évapotranspiration, l’aménagement intelligent pour capter les courants d’air, et l’emploi de matériaux à haute inertie thermique, permettent non seulement de réduire les températures urbaines, mais aussi de créer des espaces de vie plus agréables et résilients. Ce qui rend ces solutions d’autant plus pertinentes, c’est leur caractère lowtech et leur ancrage profond dans les ressources locales. En plus d'être accessibles et parfois peu coûteuses, ces pratiques sont universelles et intemporelles, comme en témoignent de nombreux exemples historiques de villes marocaines et méditerranéennes qui utilisaient déjà des systèmes ingénieux pour rafraîchir l’air, gérer les ressources en eau et favoriser la circulation du vent. Ainsi, il est impératif aujourd'hui de remettre au goût du jour ces savoir-faire anciens et de les réadapter aux besoins contemporains. En réintroduisant ces dispositifs bioclimatiques, nous pouvons construire des villes plus résilientes face aux aléas climatiques tout en préservant leur identité culturelle et environnementale. Cette approche est un véritable pont entre passé, présent et avenir, démontrant que des solutions simples, fondées sur une connaissance fine du territoire et des écosystèmes locaux, sont souvent les plus efficaces et pérennes dans l’adaptation et l’atténuation face aux changement climatiques.

  1. Projections de la population des régions et des provinces, Haut-Commissariat au Plan du Maroc, 2017.

  2. Dr. L. Ghazouani (chercheuse à l’UMP6) questionne la définition de l’ICU dans ses recherches récentes : Combining Satellite Data and Spatial Analysis to Assess the UHI Amplitude and Structure within Urban Areas: The Case of Moroccan Cities .

  3. Histoire naturelle de l’architecture, P.Rahm 2017.

  4. https://www.nature.com/articles/s41467-023-43135-z

  5. https://www.24heures.ca/2021/08/26/vague-de-chaleur-quelle-difference-de-temperature-entre-un-ilot-de-chaleur-et-un-ilot-de-fraicheur

  6. https://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/comprendre-la-meteo/quest-ce-que-lhumidite

  7. MESH2C, thèse de doctorat à l’ENPC, Matteo Migliari, 2023.

  8. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01281685v1/document

 

 Article par Ismail Sakout