Les aérosols, ces petites particules qui refroidissent le climat

Les aérosols c'est quoi?

En sciences climatiques, quand on parle d'aérosols, on ne parle pas de “sprays aérosols” comme ceux utilisés pour les déodorants. Il s’agit d’un terme technique désignant des petites particules que l’on peut retrouver un peu partout en suspension dans l’air autour de nous et dans l’atmosphère au-dessus de nous. “Petites particules”, ça veut vraiment dire minuscules : elles ont une taille comparable à celle d’un globule rouge, et sont donc invisibles à l'œil nu. Pourtant, elles sont omniprésentes dans notre atmosphère, et tout comme les gaz à effet de serre, ont une influence cruciale sur le climat.

 

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Illustration de la taille des aérosols, représentés ici par les petites particules bleues et rouges. Source : US EPA.

Ces minuscules particules proviennent de sources variées, que l’on peut classer en deux catégories : les sources naturelles et celles liées à l’activité humaine. Par exemple, des petites particules de poussière provenant du Sahara, ou des particules de sels arrachées à l’océan par les vents sont des aérosols d’origine naturelle. Les éruptions volcaniques et les incendies de forêt sont aussi des sources naturelles, émettant des quantités importantes d'aérosols dans l'atmosphère. L'activité humaine, forte de ses émissions en CO2, s’accompagne aussi d’émission d’aérosols carbonés. Ainsi, l’industrie, le transport et l’agriculture sont d’importantes sources d’émissions d’aérosols liés à l’activité humaine.

 

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Visualisation des aérosols émis dans l’atmosphère. En rouge les poussières minérales (e.g. poussières du désert), en vert les aérosols carbonés (e.g. feux de forêts, activité humaine), en blanc les aérosols sulfatés (e.g. industrie, éruptions volcaniques), en bleu les aérosols de sel marin. Source : NASA GOES-5 Nature run.

On estime que les émissions d’aérosols liés à l’activité humaine sont responsables de près de 7 millions de morts chaque année. En particulier, les plus petites particules, communément appelées "particules fines", ont la capacité de pénétrer nos poumons, augmentant ainsi les risques de développer des infections respiratoires et des maladies cardiovasculaires. Le Maroc n'échappe pas à cette réalité, avec une concentration de particules fines dans l'air dépassant de plus de 5 fois les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé dans les grandes villes comme Casablanca.

 

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À Casablanca, on estime que la concentration en particules fines est 5,2 fois supérieure aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, et serait à l’origine de près de 13,000 morts chaque années. Source : Breathe Life 2030. Source : Breathe Life 2030.

 

Pourquoi sont-ils importants pour le climat ?

Au-delà de la menace sanitaire qu’ils représentent, les aérosols ont également un impact fondamental sur le climat. On le sait bien, les gaz à effet de serre tels que le CO2 ou le méthane contribuent à réchauffer le climat. Et bien pour les aérosols c’est l’inverse : ils contribuent à refroidir le climat, ou plus exactement, à masquer une partie du réchauffement. Et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.

On distingue deux modes d’action principaux par lesquels les aérosols ont un effet refroidissant sur le climat. Le premier est appelé l’effet direct : les aérosols en suspension dans l’atmosphère agissent directement en réfléchissant les rayons du soleil. Ainsi, cette énergie solaire est renvoyée directement dans l’espace, sans jamais atteindre la surface terrestre, et par conséquent ne contribue pas au réchauffement de la Terre.

Le second mode d’action, qui est le plus important, est appelé l’effet indirect, et est lié… aux nuages. Et oui, les nuages on le sait, c’est de la vapeur d’eau, mais c’est aussi des aérosols ! En effet, ces toutes petites particules servent en réalité de noyaux autour desquels l’eau s’accumule pour former les nuages : sans aérosols, pas d’accumulation, et donc pas de nuages.

Or, plus il y a d’aérosols en suspension dans l’atmosphère, plus les nuages formés seront clairs, volumineux et dureront longtemps. Et des nuages plus grands et plus clairs réfléchissent davantage de rayons solaires. Par conséquent, une augmentation des aérosols dans l'atmosphère favorise la création de nuages plus réfléchissants, empêchant ainsi davantage d’énergie solaire de réchauffer la surface terrestre. Cet effet indirect est la composante principale du rôle des aérosols dans le climat planétaire.

Effet direct

L’effet direct des aérosols (à gauche) consiste à réfléchir directement les rayons du soleil. L’effet indirect des aérosols (à droite), le plus important, consiste à favoriser la formation des nuages qui vont ensuite réfléchir les rayons du soleil. Illustration adaptée de la figure 7.3, IPCC WG1 Chapter 7 Clouds and Aerosols.

Ces deux modes d’actions sont à l’origine de l’effet refroidissant des aérosols sur le climat. Par conséquent, sans présence d’aérosols dans l’atmosphère, les manifestations du réchauffement climatique que nous observons aujourd’hui seraient bien plus prononcées. Ainsi, les aérosols contribuent à masquer une partie du réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre. Mais de combien ?

On estime que l’atténuation du réchauffement attribuable aux aérosols liés à l’activité humaine pourrait aller pourrait atteindre jusqu'à -1°C. Cependant, il est aussi possible que cette atténuation soit presque négligeable. Cette large incertitude quant à l’ampleur du masquage du réchauffement par les aérosols est une des grandes interrogations actuelles en sciences climatiques, et une question fondamentale dans la compréhension des enjeux du réchauffement climatique.

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Décomposition des différentes contributions à l’anomalie de température dans les modèles climatiques. Les gaz à effet de serre liés à l’activité humaine (rouge) contribuent un effet réchauffant tandis que les aérosols liés à l’activité humaine (bleu) contribuent un effet refroidissant. Source : Figure 1, FAQ3.1, IPCC AR6 WG1.

 

Risque d'accélération du réchauffement

Pourquoi est-il si important de réduire l’incertitude sur l’amplitude du masquage dû aux aérosols ? Car une part significative des émissions d’aérosols résulte des activités humaines (industrie, transport, agriculture) qui émettent également des gaz à effet de serre. Or, la diminution des émissions de gaz à effet de serre, nécessaire pour faire face au changement climatique, entraînera inévitablement une réduction des émissions d'aérosols. Par conséquent, le masquage exercé par les aérosols diminuera également, engendrant potentiellement une augmentation des températures !

Cela contribuerait à accélérer la tendance de réchauffement global car la réduction des aérosols dans l'atmosphère ne masquera plus une partie du réchauffement. Ce phénomène a déjà pû être observé en 2020, lorsque l’introduction de nouvelles régulations sur la pollution des transports maritimes a entraîné une réduction du trafic maritime, et donc une réduction de leurs émissions d’aérosols et de l’effet refroidissant qu’ils exerçaient.

Si le masquage des aérosols s'approche davantage de -1 °C que de 0 °C, nous devons nous préparer à ce que la réduction des émissions d'aérosols amplifie le réchauffement global d'environ 1 °C.

 

Des Aérosols pour arrêter le changement climatique?

Alors que l’inaction climatique semble nous mener tout droit vers un monde à +2°C, il est légitime de se demander si les aérosols ne pourraient pas jouer un rôle dans l’atténuation des conséquences du réchauffement climatique. Plus précisément, est-ce que l’effet refroidissant des aérosols ne pourrait pas être mis à profit pour compenser le réchauffement induit par les émissions de gaz à effet de serre lié à l’activité humaine ?

Aussi dystopien que cela puisse paraître, contrôler le climat en injectant des aérosols dans l’atmosphère est une solution technologique sérieusement envisagée par plusieurs pays du Nord global aux économies fortement carbonées, tels que les États-Unis et la Chine, et largement financées par des milliardaires, leurs organismes philanthropiques et les compagnies pétrolières.

Cependant, cette technologie soulève plusieurs problèmes majeurs. Tout d'abord, elle ne s'attaque pas aux véritables causes du changement climatique, constituant ainsi une forme de techno-solutionnisme qui permet aux pays pollueurs de retarder l'inévitable nécessité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. C'est une excuse parfaite pour justifier l'inaction climatique. Le potentiel d'utiliser cette technologie comme une arme climatique est également extrêmement préoccupant. La capacité de contrôler le climat pourrait devenir une arme géopolitique des puissances mondiales en capacité de la déployer, renforçant les structures néocoloniales existantes et perpétuant les inégalités et les injustices mondiales.

De plus, sans pour autant agiter le drapeau d’un scénario dystopien à la Snowpiercer, de grosses incertitudes persistent quant aux conséquences que cette manipulation du climat pourrait avoir sur les écosystèmes, la pollution de l’air, le cycle de l’eau, la sécurité alimentaire et la santé publique. En effet, les aérosols ayant un effet sur la formation des nuages, des études basées sur des simulations climatiques suggèrent qu’injecter des aérosols dans l’atmosphère pourrait disrupter le cycle de l’eau et provoquer des sécheresse en Afrique et en Asie, menaçant ainsi l'accès à l'eau et la sécurité alimentaire de milliards de personnes.

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Image de la série Netflix de science-fiction “Snowpiercer” (adaptée de la bande dessinée “Le Transperceneige”) prenant place dans un futur dystopique où une tentative ratée de géo-ingénierie pour contrer le changement climatique plonge le monde dans une ère glaciaire.

Le concept de "termination shock" souligne une autre inquiétude : pour que cette technologie soit efficace, il est nécessaire d'injecter des aérosols dans l'atmosphère de façon très régulière. En cas d'arrêt brutal, et sans véritable diminution de nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’augmentation des températures, on pourrait observer un réchauffement rapide en quelques minutes, ayant un impact catastrophique sur la biodiversité. Cette situation serait bien plus grave que si aucune initiative d'injection stratosphérique n'avait été entreprise dès le début.

 

Des aérosols pour remédier à la sécheresse?

Comme mentionné plus haut, les aérosols sont un composant indispensable à la création d’un nuage. Ils jouent le rôle de petits noyaux autour desquels l’eau s’accumule dans l'atmosphère pour former les nuages. Lorsque suffisamment d’eau s’est accumulée autour d’un aérosol, la gouttelette d’eau ainsi formée devient trop lourde pour rester en suspension dans le nuage et tombe au sol : il se met à pleuvoir. Mais alors, serait-il possible d’intervenir sur ce mécanisme pour l’accélérer et déclencher la pluie ?

C’est l’idée, tout droit sortie de la science fiction, portée par les technologies d’ensemencement des nuages (cloud seeding). En introduisant artificiellement dans les nuages certains types d’aérosols capables d'accélérer le processus de formation des gouttelettes, l’ensemencement des nuages permettrait non seulement de déclencher la pluie, mais aussi d’augmenter le volume d’eau précipité. Cela peut être accompli soit par voie aérienne, en diffusant des aérosols directement dans les nuages par avion, soit par voie terrestre, en relâchant des aérosols dans des vents porteurs atteignant les nuages. Cette technique de modification météorologique imaginée aux États-Unis vers la fin de la seconde guerre mondiale fut utilisée par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam pour tenter de prolonger les moissons et déstabiliser les troupes vietnamiennes.

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Illustration des 2 principaux modes d’ensemencement des nuages : à gauche les aérosols sont relâchés depuis le sol et portés par des courants ascendants vers le nuage, à droite les aérosols sont relâchés directement au-dessus du nuage par voie aérienne. Illustration wikimedia.

Au Maroc, entre la sécheresse persistante en 2024 entraînant un stress hydrique accru sur les populations, et la baisse des précipitations de 20 à 40% prévue d’ici la fin du siècle en raison du changement climatique, la perspective de pouvoir contrôler la pluie est bien évidemment alléchante. Et c’est effectivement une volonté que le Maroc tente de concrétiser depuis les années 80, à travers le programme d’ensemencement des nuages “Al Ghait” initié en collaboration avec l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

Après des premiers essais au dessus du bassin d’Oum Er Rbia dans la région de Beni Mellal, le gouvernement marocain a étendu et opérationnalisé ce programme, si bien qu’aujourd’hui le royaume compte une cinquantaine de sites d’ensemencement, principalement situés à proximité du Haut Atlas. En moyenne, une quarantaine opérations d’ensemencement sont entreprises chaque année entre Novembre et Avril. L’ambition annoncée par le ministre de l’équipement et de l’eau Nizar Baraka est d’élargir ce projet à l’échelle nationale avec une enveloppe de 160 millions de dirhams sur les 3 prochaines années.

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Carte de 1996 présentant les différents sites d'ensemencement au sol au sud de Béni Mellal. Source : extrait d’archive du colloque international de 1996 sur “L’eau : Gestion de la rareté”.

L'efficacité de l'ensemencement des nuages soulève cependant des interrogations. Premièrement, loin d’être une solution magique à la sécheresse, l’ensemencement permet uniquement de favoriser les précipitations lorsque des nuages et conditions météorologiques favorables à la pluie sont déjà présents. Ainsi, il va de soi qu’ensemencer un ciel dégagé en période de sécheresse ne provoquera aucun résultat.

Deuxièmement, même lorsque les conditions favorables sont réunies, une large incertitude persiste quant à l’impact réel de l’ensemencement sur la pluviométrie et la météorologie. Loin d’être une technologie fiable et maîtrisée, l’impact sur la pluie d’une opération d’ensemencement présente une forte variabilité : on estime qu’elle permettrait une augmentation de la pluviométrie variant entre 0 et 20%. Cette manipulation du cycle naturel de l’eau peut également avoir des conséquences imprévues sur les précipitations et l'environnement en aval au delà des frontières du Maroc, soulevant des préoccupations éthiques quant à ses impacts sur les populations. En 2009, une opération d’ensemencement pour contrer la sécheresse en Chine a par exemple eu l’effet inattendu de provoquer une chute soudaine des températures.

Finalement, un des aérosols favori pour l’ensemencement est l’iodure d’argent, comportant un métal lourd hautement nuisible pour les sols. Bien que les études actuelles suggèrent que les quantités utilisées dans l'ensemencement sont minimes et ne représentent pas de danger lorsqu'elles retombent au sol, l’application répétée d’agent d’iodure d’argent dans l’atmosphère pourrait présenter au long terme des risques pour les sols agricoles et les eaux souterraines.

Une chose est certaine : au vu de la sécheresse enregistrée entre 2021 et 2023 malgré près de 50 opérations d’ensemencement, ce n’est pas une solution miracle, et il serait préférable de repenser nos politique de gestion de l’eau plutôt que de persister à croire en un techno-solutionnisme salvateur.

 

Conclusion  

Les aérosols, de minuscules particules aux multiples facettes, représentent un double défi : d'une part, ils posent un risque sanitaire majeur pour des millions de personnes chaque année exposés à la pollution aux particules fines émise par l’activité humaine ; d'autre part, ils agissent comme des acteurs masquant une partie de l’augmentation des températures induite par le changement climatique.

Comprendre le rôle des aérosols en climatologie est impératif pour élaborer des politiques d'action efficaces contre le changement climatique. Cependant, il est crucial de rester vigilant face à la tentation de transformer cette compréhension en une technologie de contrôle climatique. Toute politique d’action face au changement climatique n’incluant pas une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre n’est que mirage destiné à retarder l’action climatique.

Il en va de même pour le contrôle des précipitations. Dans un pays aride et enclin à la sécheresse comme le Maroc, il peut être séduisant de s’imaginer pouvoir intervenir sur le cycle de l’eau et faire pleuvoir au bon vouloir. Cependant, ce fantasme technologique du futur tend à occulter l’inadéquation des politiques de gestion de l’eau du présent. Avant de s’amuser à jouer aux apprentis sorciers avec l’eau dans l’atmosphère, ne serait-il pas plus urgent de mieux contrôler l’eau qu’on a sur terre ?

 

Pour aller plus loin, on vous recommande l’excellente interview de Sofia Kabbej, membre de l’Observatoire Défense et Climat et chercheuse experte en sécurité du changement climatique et impacts de la géo-ingénierie.



sources

 Article par Shahine Bouabid