Le Maroc, un pays bientôt sans eau ?

Suite à la sécheresse de l’année 2021-2022, l’une des pires de l’Histoire du Maroc, le taux de réserve des barrages était à 25 % au 1er septembre 2022 (contre 40% à la même date en 2021 et 49% en 2020). Ce chiffre est d’autant plus alarmant que ces barrages constituent, et de loin, la principale réserve d’eau potable et d’irrigation du pays.

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Pour un suivi régulier de la situation des barrages au Maroc, consulter notre article sur l'évolution du taux de remplissage des barrages.

 

Comme les barrages, les réservoirs naturels (nappes phréatiques et cours d’eau de surface) s’assèchent également à un rythme rapide. Le changement climatique pourrait aggraver la situation en diminuant les ressources en eau du Maroc de 30% dans les 25 prochaines années.

30% ! Alors le Maroc, un pays bientôt sans eau ?

Des ressources déjà largement surexploitées et mal exploitées

La consommation urbaine d’eau fait indéniablement partie du problème. Les mauvaises habitudes individuelles, la surconsommation des quartiers huppés, du secteur touristique, des golfs représentent autant d’exemples de sur et de mal exploitation de l’eau.

Pourtant, les usages domestiques, urbains ou industriels ne représentent que 15% de la consommation marocaine en eau. Le secteur agricole cumule quant à lui 85% de la consommation d’eau au Maroc.

Et l’agriculture n’irrigue pas seulement avec les eaux annuelles stockées dans les barrages ou par un usage durable des eaux des nappes à l'image du système traditionnel des khettaras.

Les périmètres irrigués le sont aussi (et de plus en plus) grâce à la ressource souterraine. Environ 42% des terres irriguées du pays le sont grâce aux nappes phréatiques, par des puits en majorité autorisés par les autorités compétentes : les Agences de Bassin Hydraulique.

Souvent exploitées au-delà de leur capacité de recharge, les nappes phréatiques sont condamnées à l’épuisement. Ainsi, le Maroc surexploite de 1 milliards de m3 ses nappes phréatiques chaque année, une situation difficile à rattraper sur le court-terme.

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À Berrechid, dans le Souss et à Zagora, les nappes sont déjà au bord de l'assèchement. Les manifestations de la soif à Zagora, notamment à cause de la surconsommation d’eau pour l’irrigation de champs de pastèques, ont particulièrement marqué les esprits.

Malgré la mise en place d'une politique de l'eau ambitieuse en 1995, avec un volet "gestion de la demande" doté d'une enveloppe de 30 milliards de dirhams, le contrôle de la demande a avant tout consisté en la promotion de technologies sobres en eau (goutte-à-goutte) plutôt qu'en un contrôle effectif des prélèvements.

Cette irrigation en goutte-à-goutte, dont l'efficacité est remise en cause dans le contexte marocain, s'est accompagnée de l'irrigation de plus de surface et/ou de l'irrigation plus fréquente de chaque surface. Résultat contre-intuitif : au lieu d’économiser 1 milliards de m3, nous les surconsommons. C'est ce qu'on appelle l'effet rebond.

Les techniques d'optimisation comme le goutte-à-goutte ne sont alors efficaces que si, et seulement si, elles sont accompagnées de politiques de régulation de la demande.

Dans la plaine du Saïss par exemple, le nombre de puits et forages a ainsi été multiplié par plus de 13 en 35 ans, passant de 900 à 12 000 puits entre 1980 et 2015, la surexploitation y atteignant 100 millions de m3.

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Illustration des effets de l’intensification agricole sur le paysage marocain. Inspiré des résultats du diagnostic agraire de la plaine du Saïss.

Un horizon 2040 très sec

Pour évaluer si un pays est en situation de stress hydrique ou non, il faut diviser la ressource en eau reçue pendant une année par sa population.

Le Maroc dispose déjà d’une ressource en eau assez limitée par habitant comme l’indique la comparaison suivante :

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Quantité d’eau disponible par habitant par an au Maroc et son évolution depuis 1960. Source : Banque Mondiale.

 

La diminution de la ressource en eau estimée à 30% dans les 25 prochaines années ferait du Maroc le deuxième pays africain le plus à risque derrière la Libye.

En effet, le changement climatique entraînera une diminution moyenne de 20% des volumes de pluie reçus par le Maroc tout en diminuant les surfaces enneigées et en augmentant considérablement le risque de sécheresse.

La sécheresse exceptionnelle de 2021-2022 serait une norme réaliste en 2040.

La situation est d’autant plus tendue que nous mentionnons ici des moyennes et que certaines régions sont bien moins loties que d’autres. Ainsi 70% de la ressource hydrique marocaine est reçue par 15% du territoire national (Nord-Ouest).

 

Comment faire pour éviter le pire ?

Pour éviter le pire, deux options sont indissociables : augmenter (ou plutôt essayer de maintenir) l’offre d’eau disponible et optimiser (et donc diminuer) la demande.

Augmenter l'offre

Plusieurs leviers pourraient augmenter la quantité d’eau stockée au Maroc : la construction de plus de barrages, le dessalement, le recyclage des eaux usées…

Mais il n’y a pas de solution miracle et chacune de ces solutions a (de grosses) limites.

Lorsqu’on construit un barrage, encore faut-il le remplir. Le potentiel du Maroc en la matière étant largement exploité, il est très probable que les prochains barrages construits se remplissent très peu.

Lorsqu’on construit une usine de dessalement, encore faut-il avoir le budget pour la construire et l’électricité pour la faire tourner. Le dessalement est en effet une technologie chère, et vorace en électricité. Elle est donc surtout utile pour l’eau potable et quelques rares filières agricoles.

Lorsqu’on recycle les eaux usées, il faut garder en tête qu’elles ne représentent que 15% des eaux consommées, les 85% restants étant utilisées par l’agriculture et donc non recyclables.

L’augmentation de l’offre disponible permettra au Maroc d’atteindre la sécurité hydrique si et seulement si la consommation est maîtrisée. Cela exige une optimisation de la consommation, surtout agricole.

Optimiser la demande

Optimiser la demande urbaine

L’optimisation de la consommation en ville est un levier à ne pas négliger : sensibilisation des populations au gaspillage, augmentation des tarifs pour certains secteurs spécifiques (tourisme notamment), recyclage des eaux usées… sont autant de leviers possibles. Ainsi, Rabat irrigue aujourd’hui la quasi-totalité de ses espaces verts avec de l’eau usée recyclée, économisant ainsi de plus de 10% ses besoins en eau.

Optimiser la demande agricole

La promotion de pratiques agroécologiques compatibles avec les conditions pédoclimatiques (sol et climat) du Maroc est essentielle. Par l’agroforesterie, les cultures sous-couvert, le labour peu profond ou le semis direct, etc… La consommation d’eau est optimisée pour deux raisons : l’évaporation (et donc l'assèchement du sol) diminue, et la structure du sol et donc sa capacité à retenir l’eau est améliorée.

De telles techniques ne sont pas des innovations, elles sont historiquement implantées au Maroc et il s’agit aujourd’hui de les observer, les tester dans d’autres régions et les adapter à une agriculture plus mécanisée et à la demande des marchés agricoles.

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Haouz – Arbâa Tighedouine : Système agroforestier associant iris, caroubiers et oliviers.

Pour chaque espèce cultivée, la valorisation de sa diversité génétique est un levier majeur d'adaptation au changement climatique. Il existe en effet certaines variétés "traditionnelles" ou "améliorées" plus tolérantes à la sécheresse. C'est le cas notamment pour l'olivier, dont la diversité génétique est considérable au Maroc. L'identification, l'amélioration et la promotion de variétés résistantes à la sécheresse est donc possible et renforcerait la résilience de la filière oléicole.

Orienter la sélection génétique dans un objectif de productivité par litre d’eau plutôt que par hectare serait un changement de paradigme majeur. Au regard de la situation actuelle du Maroc, ce changement semble nécessaire.

Certaines espèces peu voraces en eau et aujourd'hui tombées dans l'oubli seraient également très utiles à cette transition hydrique. C'est le cas du sorgho, plus économe en eau par rapport au maïs, et qui couvrait en 1950 plus de 150 000 hectares. D'autres espèces, aujourd'hui peu communes au Maroc pourraient également être intéressantes : millet, quinoa, niébé… Mais cela exige aussi que le consommateur marocain s'y intéresse.

Enfin, la régulation des surfaces de cultures gourmandes en eau pourrait permettre de réaliser des économies significatives. Si l'arrêt des subventions à la plantation de vergers d’avocatiers et d’agrumes ont été annoncées, les vergers déjà plantés se maintiennent et maintiendront leur surconsommation d’eau. Une régulation, par des primes à l’arrachage par exemple, solution privilégiée sur le vignoble européen pour d’autres raisons, pourrait diminuer la surface de ces cultures trop gourmandes en eau dans les territoires les plus sensibles.

Des techniques et des technologies d’optimisation de l’irrigation pourraient également faire partie de la solution : goutte-à-goutte enterré, drones, valorisation des savoirs d’irrigation traditionnels… mais gare à tomber dans le techno-solutionnisme.

L’application de l’ensemble de ces solutions dépendra cependant de la priorité des politiques publiques dans les prochaines années : battre des records d’exportation de tomates pendant 10 ans ou avoir de l’eau à boire dans 10 ans ?

 

 Article par Kenza Himmich et Ali Hatimy