Les politiques agricoles marocaines : échec ou réussite ?
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L’agriculture est un pilier de l’économie et de la société marocaine. Avant la mise en place en 2020 du Plan Generation Green (2020-2030), le Plan Maroc Vert PMV (2008-2020), lancé par l’ancien Ministre de l’Agriculture plus tard devenu Chef du Gouvernement marocain Aziz Akhannouch, avait déjà doté le Maroc d’une stratégie de développement agricole exhaustive et ambitieuse.

L’objectif du Plan Maroc Vert était de faire du Maroc une puissance agricole exportatrice. Par la modernisation du secteur et l'augmentation des investissements, l’agriculture était érigée comme un pilier du développement socio-économique du Royaume.

Désormais, à l'objectif de développement socio-économique se greffe un objectif de durabilité et de résilience climatique pour le secteur agricole explicite dans le Plan Génération Green.

Dans un objectif d’évaluation de ces politiques publiques, l’article sera structuré comme suit :

I - Résumé de la stratégie double du Plan Maroc Vert

II - La performance économique du Plan Maroc Vert

III- Une performance économique menacée par l’extractivisme minier de la ressource en eau

IV - La performance en matière de souveraineté alimentaire

V - La performance sociale du Plan Maroc Vert

VI - Génération Green, un Plan Maroc Vert corrigé ?

I - Résumé de la stratégie double du plan maroc vert

 
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II - la performance économique du plan Maroc Vert

Le Plan Maroc Vert (ou PMV) est considéré comme une réussite stratégique et économique majeure pour le Maroc. Cette réussite (du moins apparente) a été permise par des investissements massifs dans le secteur agricole.

Ainsi, selon le Ministère de l’Agriculture, 2,7 millions de personnes auraient bénéficié du Plan Maroc Vert avec un budget de 44 milliards de dirhams. Ces investissements ont contribué à un accroissement du PIB nominal agricole de 65 milliards à 125 milliards de dirhams entre 2007 et 2020, principalement grâce à un accroissement des surfaces irriguées et des rendements.

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 Évolution du PIB agricole marocain nominal depuis 1998, en milliards de dirhams.

Entre 2008 et 2018, le Maroc faisait partie des 10 pays ayant expérimenté la plus forte croissance agricole. Au cours de cette période, l’agriculture aurait contribué à 17% de la croissance économique, soit un taux deux fois supérieur à celui de la décennie précédente. Le taux de productivité agricole (richesse produite par jour travaillé) aurait également augmenté au cours de cette période à l’inverse des deux autres secteurs économiques qui ont eux ont eu davantage tendance à stagner. Ce dynamisme peut être expliqué, entre autres, par un investissement public-privé massif de 118 milliards de dirhams entre 2008 et 2019 et des taux d'imposition très favorables.

Le Plan Maroc Vert a aussi donné un cadre plus clair pour les filières agricoles considérées comme stratégiques. Cette stratégie impliquait une diminution des superficies céréalières (de 5,3 millions à 4,6 millions d’hectares) et une augmentation de celles d’autres cultures, souvent irriguées.

Ci-après les évolutions des surfaces cultivées pour 3 filières présentées comme stratégiques : arboriculture, oléiculture et agrumiculture.

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Cependant, la solidité de cette performance économique a également eu pour conséquence d'augmenter la volatilité globale de l'économie marocaine. En effet, le secteur agricole est par nature volatile : augmenter ou stabiliser sa part dans le PIB expose l’économie marocaine à plus d’aléas économiques par rapport à une augmentation de la part des secteurs secondaires et tertiaires.

Pour autant, l’importance stratégique de l’agriculture dans les politiques et investissements publics n’est pas problématique. Mais comme nous allons le voir dans la suite de l’article, la posture d’une agriculture extractiviste et agro-exportatrice ne s’est pas révélée compatible avec les besoins du Maroc en matière de souveraineté alimentaire et de sobriété hydrique.


III - Une performance économique remise en cause par l’extractivisme minier de la ressource en eau

Si les chiffres de la performance économique du secteur agricole sont éloquents, la durabilité de cette croissance interroge pour plusieurs raisons.

Dans le contexte d'un climat caractérisé par de fortes variabilités inter-annuelles et majoritairement aride à semi-aride, la croissance du secteur agricole a été surtout permise par l’extension des surfaces irriguées.

Jusqu’ici, l’extension de l’agriculture irriguée et des installations de goutte-à-goutte, avait rendu la production marocaine (en particulier oléicole et maraîchère) moins dépendante de la pluviométrie : une année de sécheresse ne provoque ainsi plus d’effondrement de la production.

Mais la progression constante et fulgurante de l’irrigation qui concerne désormais 1.6 millions d’hectares sur les 8.5 millions d’hectares de terres agricoles au Maroc, contre moins d’un million en 2000,a surtout été permise par une progression de l’irrigation privée (grâce aux nappes) qui couvre aujourd’hui plus de 600 000 hectares. Cette progression provoque un épuisement rapide des eaux souterraines : l’agroéconomiste Najib Akesbi parle même “d’extractivisme minier” de la ressource en eau. 

Le Plan Maroc Vert a contribué à cette progression de l’irrigation privée par des subventions massives de 80 à 100% des coûts de forage et d’installation de systèmes d’irrigation. Malgré un programme colossal - le Plan National d’Économie d’Eau en Irrigation PNEEI - de 37 milliards de dirhams sur 10 ans, le Maroc a atteint l’inverse de ses objectifs d’économie d’eau.

En effet, la posture adoptée par le PNEEI était celle d’une gestion indirecte de la consommation d’eau, notamment par la promotion de techniques d’irrigation supposées économes comme le goutte-à-goutte. Mais sans aucun mécanisme de régulation directe de l’irrigation, le goutte-à-goutte a été utilisé dans des conditions qui n’ont permis aucune économie d’eau. Au contraire, par effet rebond, l’agriculture marocaine puise ainsi chaque année 1 milliard de mètres cubes d’eau par an non renouvelables dans ces ressources souterraines. Cette quantité correspond à la totalité des précipitations annuelles de l’Égypte ou encore à 5 fois la consommation de l’agglomération de Casablanca.

Cet enjeu est amplifié par l'effet déjà perceptible du changement climatique sur le Maroc où les précipitations ont déjà chuté de 5 à 20% et où la température moyenne a augmenté de 1.5 à 2.5 degrés selon les régions, et qui va nettement s'accélérer dans les prochaines années.

(Pour plus de détails, consultez nos outils Anomalies de précipitations annuelles et Températures moyennes saisonnières).

Face à l’impossibilité de mettre à l’échelle certaines solutions comme le dessalement, le modèle agricole exportateur marocain atteint ses limites.

IV - La performance en matière de souveraineté alimentaire

Popularisée dès 1996 par la Via Campesina, mouvement international de défense des droits des petits agriculteurs, la souveraineté alimentaire se définit comme « le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité à produire son alimentation, facteur essentiel de la sécurité alimentaire au niveau national et communautaire, tout en respectant la diversité culturelle et agricole ».

Une souveraineté alimentaire oubliée : le Maroc érigé en puissance agro-exportatrice… et importatrice

À contre-courant de cette souveraineté alimentaire, le Plan Maroc Vert avait une posture agro-exportatrice assumée et a ainsi permis une augmentation massive de la production de filières de rente (entre autres agrumes, maraîchage et fruits) principalement destinées à l’exportation.

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Mais si le Maroc s’est affirmé comme une puissance agro-exportatrice, sa balance commerciale agricole est à peine positive et le Maroc s’affirme donc aussi comme un grand “agro-importateur”. La production agricole des denrées de base, comme les céréales, huiles et sucre reste précaire et est largement couverte par les importations.

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Cette précarité de la souveraineté alimentaire marocaine rend le Maroc particulièrement vulnérable lors des épisodes de sécheresse et d’instabilité internationale. Le soutien timide à l’agriculture familiale, principale productrice de ces denrées de base, explique le faible niveau de performance du Maroc dans ces filières.  

Par ailleurs, l’argument souvent avancé d’une grande agriculture orientée vers l’exportation qui serait la meilleure valorisatrice de la ressource en eau est aujourd’hui largement contredit par la littérature scientifique.

La rentabilité de ce modèle n’est par ailleurs permise que par des prix du travail très bas, des coûts bas des facteurs de production (notamment l’accès subventionné aux eaux souterraines) et une non-considération de ses impacts environnementaux (utilisation massive de pesticides et d’engrais chimiques).

Un soutien à la petite agriculture familiale aurait ainsi pu être un levier de développement socio-économique important, participant à la souveraineté alimentaire et à l’utilisation sobre de la ressource en eau.

Mais d’autres intérêts, économiques et politiques, ont poussé l’État marocain à privilégier un soutien à la grande agriculture patronale.  

V - La performance sociale du Plan Maroc Vert

L’inégalité dans l’accès aux subventions

Malgré tout, le PMV était présenté comme une politique agricole qui bénéficierait à tous, petits comme grands agriculteurs, conformément aux deux piliers du Plan.

Pourtant, si le Maroc a fait le pari d’une politique agricole duale, soutenant à la fois les grands exploitants et les petits agriculteurs familiaux, force est de constater le soutien largement plus marqué envers les grands exploitants.

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L’étude de cas de la plaine du Saïss montre qu’il y a des gagnants et des perdants à la stratégie duale marocaine telle qu'est menée :

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Au-delà de ce soutien déséquilibré entre petits et grands exploitants, il faut souligner la difficulté d’accès aux subventions pour les populations les plus fragiles, en particulier les plus petits agriculteurs, les femmes et les personnes analphabètes.

Le PMV, un plan créateur d’emploi ?

Un autre objectif majeur du Plan Maroc Vert était la création d'emplois dans le secteur agricole. Là encore, les résultats sont mitigés avec des versions contradictoires.

D'un côté, selon les sources officielles et le Ministère de l’Agriculture, le Plan Maroc Vert aurait permis de créer 48 millions de journées de travail supplémentaires,soit l’équivalent de 250 à 300 000 emplois à temps plein entre 2008 et 2018.  

De l'autre côté, ces chiffres sont contestés par les sphères académiques à plusieurs niveaux. D'une part, ils sont bien en deçà des ambitions initiales, estimées à 1,5 millions d’emplois, soit 5 fois plus. La controverse va même plus loin.

L’emploi agricole au Maroc aurait surtout subi une reconfiguration profonde : des emplois dans la petite agriculture familiale ont été détruits au profit d’emplois de type salarié.

Face à ces résultats contrastés du Plan Maroc vert, le nouveau plan “Generation Green” permettra-t-il de répondre aux immenses défis économiques, sociaux et climatiques qui se profilent sans déstructurer le tissu rural marocain et tout en maintenant une dynamique de croissance du secteur agricole ?

VI - Génération Green, un Plan Maroc Vert corrigé ?

Le Plan Génération Green (2020-2030) est présenté comme un renforcement et une rectification de la trajectoire prise par le PMV, décrit comme un large succès économique et stratégique par les sources gouvernementales. Génération Green se veut plus ambitieux que son prédécesseur, avec un doublement du PIB agricole en 10 ans, au lieu de 12 ans pour le PMV. 

Génération Green s’articule autour de deux piliers : la priorité humaine et la pérennité du développement agricole.

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Un axe important porte sur la résilience et l’éco-efficience et aborde les moyens et leviers d’actions pour la durabilité du secteur agricole. Parmi les objectifs notables : le doublement de la valeur ajoutée par mètre cube d’eau à l'horizon 2030 par une amélioration de l'efficience d'irrigation et la diffusion des techniques de conservation des sols.

Pourtant, sur le plan stratégique, on ne retrouve pas de corrections majeures aux défaillances du PMV : les mesures de résilience et de sobriété sont encouragées (utilisation plus efficiente de l’eau, des engrais, des énergies renouvelables), mais relèvent surtout de l’initiative même des producteurs, avec des risques importants d’inefficience voire d’effet rebond.  

conclusion

Le Plan Maroc Vert a permis d’augmenter significativement la production et les exportations agricoles marocaines, par une augmentation importante des rendements sur de nombreuses filières.

Mais cette augmentation de la production n'a été permise que par une déstructuration de la ruralité marocaine et par une surexploitation massive et incontrôlée des eaux souterraines. Cette surexploitation couplée à la pression croissante du changement climatique posent des limites de durabilité menaçant le maintien d’un modèle agro-exportateur que le nouveau plan Generation Green n’ose pas bousculer.

Les politiques agricoles marocaines maintiennent donc une posture court-termiste, qui ne vient pas répondre à l’enjeu vital de la préservation des ressources naturelles avec les risques sociaux et politiques que cela implique.

 Article rédigé par Ali Hatimy et Malik Tazi